Dans un village niché entre la trépidante capitale du Bangladesh, Dhaka, et la cité historique de Sonargon, une communauté laborieuse s'active dans les foyers et les petits ateliers, perpétuant l'art ancestral du tissage à la main du Jamdani et du Muslin. La circulation sur la route principale ralentit brusquement lorsque l'on quitte l'asphalte pour emprunter les paisibles rangées de maisons spécialement construites pour les artisans. Des linges colorés, des kanthas, des saris et d'autres vêtements s'étalent au soleil devant les habitations et les ateliers, tandis que les enfants et quelques animaux errants se perdent et jouent dans les ruelles.
Ce village fait partie d'une initiative du gouvernement visant à soutenir et à redynamiser l'artisanat de ce textile précieux, inscrit au patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'UNESCO en 2013. Le Jamdani est un coton transparent, richement orné, traditionnellement fabriqué à la main sur un métier à tisser par des artisans et des apprentis autour de Dhaka. Le Jamdani est un travail long et exigeant en main-d'œuvre en raison de la richesse de ses motifs, qui sont créés directement sur le métier à l'aide d'une technique de tissage discontinu de la trame.
Les fondateurs de ce bourg ont travaillé et formé des tisserands afin de rétablir la production de Jamdani, dont la région en était le cœur autrefois. Nous avons eu l'occasion de constater comment ces compétences artisanales traditionnelles sont enseignées à une nouvelle génération de tisserands, tout comme elles l'ont été pendant des siècles.
Nous sommes là pour rencontrer le maître tisserand MD Sobuj Mia. À notre arrivée, un groupe de jeunes hommes pressés nous dépasse pour se rendre à l'atelier après la prière, ôtant leurs chaussures à l'entrée avant de retrouver leurs métiers à tisser.
MD Sobuj Mia nous fait faire le tour et nous présente quelques-uns de ses apprentis. Il faudra des années à ces jeunes artisans pour atteindre son niveau de compétence. Il explique que cet art se transmet traditionnellement de génération en génération au sein de la famille; sur chaque métier à tisser se trouvent deux hommes, un maître et son apprenti. Devant eux, au-dessus du métier (ou parfois en dessous), est disposé un motif qu'ils ont étudié et mémorisé (dans une certaine mesure). Ils se passent la navette en va-et-vient pendant que chaque artisan travaille sur sa partie du motif.
Soudain une certaine exaltation se fait sentir; après des mois de travail, un magnifique sari en jamdani est enfin terminé alors que nous sommes guidés entre les métiers à tisser. MD Sobuj Mia coupe méticuleusement les fils fins pour conclure cette œuvre, et nous sommes autorisés à toucher et admirer le tissu commandé par une cliente.
Bien que la tradition du tissage du Jamdani soit transmise de père en fils, ou par la lignée masculine, ce sont les femmes de la communauté qui préparent le coton sur des bobines. Dans les maisons voisines des tisserands, des groupes de femmes s'occupent de cette préparation : certaines travaillent entièrement à la main, tandis que d'autres sont aidées par une machine simple.
"Jamdani" est un mot d'origine persane, une combinaison de "Jama" signifiant tissu et "dana" qui décrit un petit grain. La première mention historique de la fabrication de ce tissu datant de plusieurs siècles est issu de la région de Dhaka; en effet, le Jamdani était à l'origine connu sous le nom de Dhakai (ou Daccai), nommé d'après la ville.
Ce patrimoine intangible a été reconnu et attribué au Bangladesh, mais comme tant d'autres formes d'artisanat, il ne s'agit pas d'un savoir exclusif à un seul lieu, et les divisions historiques des terres et des peuples signifient que des artisanats similaires sont pratiqués dans de petites communautés de tisserands à travers la région du Bengale, tant au Bangladesh qu'en Inde.
Il existe de nombreux récits historiques de tissus fins tissés à la main provenant de cette région, qui aident à retracer l'origine de cet artisanat. Dès l'époque romaine, des comptes-rendus mentionnaient un tissu aussi léger que de "l'air tissé". Sulaiman al-Tajir, un voyageur du IXe siècle, a écrit sur les tissus de coton fabriqués dans le royaume de Rahmi (le Bengale historique non divisé) qui étaient si fins qu'ils pouvaient passer à travers un anneau. Plus tard, à partir du XIIe siècle, les influences islamiques ont vu le tissu orné de motifs élaborés et de couleurs, et ces techniques ont évolué. Les archives du XVIe siècle montrent que le marchand anglais Ralph Fitch a noté le fin mousseline qu'il a vue à Sonargaon, disant que c'était "une ville... où se trouve le meilleur et le plus fin tissu de toute l'Inde".
Les premières références au Jamdani en tant que tel remontent au XVIIe siècle, à l'époque de l'Empire moghol, lorsque l'empereur Jahangir (1605-1627) portait une écharpe en Jamdani tissée avec des motifs floraux. Le reste de l'industrie de la mousseline de Dhaka a été perdu au cours du XXe siècle et le tissage du Jamdani est tout ce qui reste.
L'un des principaux acteurs engagés dans la renaissance du Jamdani et la mise en lumière de l'artisanat patrimonial du Bengale est Aranya Crafts. La directrice, Nawshin Khair, entrepreuse infatigable, nous a dit qu'à son apogée, avant la colonisation britannique de la région, le nombre de fils d'un Jamdani fin était compris entre 400 et même 1000. Lorsque les nouveaux pionniers de cet artisanat ont commencé à travailler pour revitaliser cette technique, le nombre de fils était d'environ 80. Après des années de travail et de formation, ils ont atteint un tissu d'environ 200 fils, mais l'objectif ultime est de retrouver la qualité du tissage de l'"or blanc" pour lequel le Bangladesh était autrefois réputé, un tissu désiré et échangé à travers le monde entier. Cette qualité ne peut être obtenue avec du coton tissé à la machine.
Le patrimoine du tissage Jamdani a été préservé en s'adaptant aux modes et aux goûts changeants, et grâce à l'engagement de groupes comme Aranya et la Bengal Craft Society.
Dans tout le Bangladesh, les vêtements traditionnels sont encore très à la mode, et le port de ces textiles précieux est devenu une question de fierté nationale.
"Le tissage prospère aujourd'hui grâce à la popularité du tissu pour la confection de saris, le principal vêtement des femmes bengalies, tant au pays qu'à l'étranger... Le sari Jamdani est un symbole d'identité, de dignité et de reconnaissance de soi, et offre à ceux qui le portent un sentiment d'identité culturelle et de cohésion sociale. Les tisserands développent une identité professionnelle et sont très fiers de leur patrimoine; ils jouissent d'une reconnaissance sociale et sont très respectés pour leurs compétences." Nawshin Khair
L'objectif est de promouvoir ce textile à travers le pays et au-delà, afin de préserver le patrimoine textile mais aussi de créer des ressources pour les communautés artisanales. Le titre de l'UNESCO aidera, et il a de nouveau attiré l'attention sur cet artisanat. Cependant, il reste encore beaucoup à faire. Les imitations de Jamdani fabriquées à la machine sur le marché international dénaturent sa réelle valeur, et peu de clients sont prêts, ou capables, de payer le vrai prix d'un tel tissu tissé à la main. Les artisans hésitent à s'engager dans cette voix où la maîtrise de ces compétences s'acquiert après plus de 10 années sur le métier à tisser, mais honorer et reconnaître la compétence de ces artisans et la beauté de leur travail est une étape importante pour maintenir cet artisanat en vie.
Types de Jamdani :
- Dhakai Jamdani (Bangladesh) : ces saris Jamdani présentent l'artisanat le plus complexe. Il faut de neuf mois à un an pour en fabriquer un.
- Tangail Jamdani (Bangladesh) : ces saris Jamdani sont tissés dans le district de Tangail et ont les larges bordures habituelles avec des motifs de lotus, de lampe et d'écailles de poisson.
- Shantipur Jamdani (Inde) : ces saris Jamdani sont comparables aux Tangail Jamdanis et sont produits à Shantipur, au Bengale occidental. Ils ont une belle texture, et le sari a souvent des motifs rayés.
- Dhaniakhali Jamdani (Inde) : ces saris Jamdani, de Dhaniakhali, au Bengale occidental, présentent un tissage plus serré que les variantes de Tangail et Shantipur. Souvent avec des couleurs vives et des bordures sombres et contrastées.
Nous tenons à adresser un grand merci à MD Sobuj Mia et à l'équipe d'Aranya pour leur temps, le partage de leurs connaissances et l'organisation de notre visite.
Sources
Entretien avec Nawshin Khair, Director Aranya November 2023
Nawshin Khair quoting Petronius Arbiter
Entretien avec MD Sobuj Mia, maitre tisserand et d'autres tisserands. November 2023
https://ich.unesco.org/en/RL/traditional-art-of-jamdani-weaving-00879
https://www.bengalcraftsociety.org/
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Le Jamdani que vous trouvez dans la boutique en ligne de Storie est fabriqué près de Kolkata, au Bengale occidental, en Inde. Nous travaillons avec une entreprise familiale engagée dans la préservation du patrimoine artisanal. Les artisans que nous avons visités au Bangladesh produisaient des saris exquis, mais nous n'avons actuellement pas de marché pour leurs produits. Si vous êtes intéressé par le développement de cet artisanat, contactez-nous.