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Tatreez : Une Tapisserie de Tradition Palestinienne

by Fiona Cameron 19 Nov 2023
Tatreez : Une Tapisserie de Tradition Palestinienne

Suspendue à la porte d'une galerie de l'antique Jérusalem, une robe blanche immaculée, ornée de délicates croix rouges formant des motifs floraux, se balance doucement, comme un écho silencieux du passé. Yasser Barakat, gardien de ces trésors, révèle que cette tenue est probablement une robe de mariée, un chef-d'œuvre de délicatesse. 

Tatreez à Jerusalem

Autour de lui, d'autres merveilles brodées reposent dans un coffre ancien, chaque pièce est une histoire tissée avec soin dans chaque fil, un patrimoine Palestinien précieux à préserver.

Chez Yasser Barakat, Jerusalem

Embroidered detail on a thoub at the Yasser Barakat Gallery in Jerusalem

Thoub. Détail brodé chez Yasser Barakat, Jerusalem

Cet artisanat traditionnel, baptisé tatreez, est l'héritage vivant de la Palestine. Transmis de mère en fille, ce savoir-faire unique en son genre va au-delà du simple ornement de vêtements et d'accessoires ; il raconte la richesse d'une culture, la force d'un peuple en quête de préservation de son identité. Ces broderies ne sont pas de simples motifs, mais des récits en fil, empreints de culture, d'héritage, et de résilience face à l’adversité. Symbole fort de l'identité palestinienne, le tatreez orne les foyers des familles palestiniennes en Cisjordanie, à Gaza, en Israël, et même dans la diaspora, témoignant d'une tradition qui défie les frontières et les épreuves du temps.

Artisan pres de Hebron, dans une thoub traditionelle

La broderie au point de croix est un artisanat ancien pratiqué par des communautés à travers le monde. Il est difficile de dire quand et où cette technique a commencé, mais elle a été une partie intégrante de la tradition textile de la région et a des racines profondes dans l'histoire palestinienne, remontant à des siècles, voire même plus longtemps. Des fouilles archéologiques à Jéricho ont découvert des représentations de femmes portant un thoub brodé (une robe traditionnelle palestinienne), et des preuves suggèrent que les "styles de broderie actuels font partie d'une tradition culturelle qui remonte à des milliers d'années". Elle est tellement ancrée dans la culture que, en 2021, "L'art de la broderie en Palestine, les pratiques, les compétences, les connaissances et les rituels" ont été inscrits sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l'UNESCO.

Femme portant un thoub traditionnel à Jerusalem

Le tatreez embellit les vêtements des femmes et a servi de moyen d'expression personnelle, les femmes incorporant des symboles et des motifs dans leurs créations, chacune portant une histoire unique ou représentant un village ou une famille particulière. Les images étaient inspirées par la vie rurale traditionnelle : les couleurs, les tissus et les motifs pouvaient en dire long sur le statut social d'une personne et d'où elle venait.

 Contemporary tatreez, image by Annie Waterman

 Les motifs courants comprennent des motifs géométriques, des dessins floraux, des représentations d'oliviers, de cyprès et de scènes de village. 

Eglise à Jerusalem

La tradition de la broderie palestinienne est "extrêmement riche", explique l'historienne de l'art Rachel Dedman. Elle possède une langue, un vocabulaire et des dialectes propres, car malgré sa taille modeste, la Palestine avait des modes de fabrication de la broderie extraordinairement variés. Ainsi, le travail de Ramallah est différent de celui de Bethléem, qui est lui-même différent des motifs pratiqués à Jérusalem. Vous pouvez comprendre cela à travers les motifs utilisés... À Jaffa, par exemple, qui est près de la mer, vous pouvez remarquer des motifs liés à l'eau ou aux oranges, que l'on y cultive en abondance. À Hébron, on trouve beaucoup de motifs de vigne, car c'était une région de culture du raisin.

Tatreez patterns from digital archive Tirazain

L'attribution des styles de points aux différentes régions n'est pas toujours aisée,  les chercheurs ont découvert des preuves de l'évolution des styles de broderie, façonnée par des courants d'idées voyageant à travers la Palestine. Certains styles ont été délaissés, jugés trop peu modestes pour leur époque, tandis que d'autres ont migré vers la côte, emportés par des familles en excursion depuis Bethléem, et s'imprégnant dans d'autres communautés. Influencés par les manuels européens, des motifs nouveaux ont été adoptés, et les fils de soie syriens traditionnels ont progressivement cédé leur place aux fils de coton DMC, plus abordables et venus de France.


Historiquement, les motifs de tatreez variaient d'un village à l'autre, un reflet fidèle de l'identité locale. Mais avec la fondation de l'État d'Israël en 1948 et le déplacement des Palestiniens de toutes les régions dans les camps de réfugiés, cette mosaïque de styles a commencé à se fondre. "Maintenant, les gens portent ce qu'ils veulent de n'importe quel village", déclare la maître brodeuse Feryal Abbasi-Ghnaim, témoignant d'un paysage culturel palestinien profondément transformé au cours du dernier siècle.

Détail d'une broderie sur une robe trouvée à Jérusalem

Après 1948, une grande partie du mode de vie traditionnel a été perdue. Les anciennes façons de vivre n'étaient plus aussi pertinentes, et avec le temps, "de moins en moins de jeunes femmes portaient le thoub, car il était plus coûteux et plus long à fabriquer que le prêt à porter occidental". Les femmes plus âgées continuaient de broder, et certaines jeunes femmes commençaient à pratiquer la broderie au point de croix au sein de coopératives mises en place pour préserver les traditions artisanales.

Artisan dans une cooperative de femmes dans Cisjordanie Palestinien 

 

L'artisanat a évolué, et là où le style de broderie était autrefois défini par le village ou la région, un nouveau type de tatreez est né d'un mélange d'anciens symboles et de motifs, "mélangés de manière pragmatique pour présenter un ensemble culturel unifié. La broderie a survécu, mais elle a été transformée d'un artisanat de village en une expression artistique du nationalisme"

Tatreez contemporain sur les vêtements pour enfants

Aujourd'hui, plus que jamais, "il est important pour nous de préserver notre histoire", déclare Bshara Nassar, fondateur et directeur du Musée du Peuple Palestinien, "de revendiquer cela en tant que Peuple Palestinien, de montrer une histoire riche remontant à des siècles". Alors que la Palestine a connu diverses transformations politiques et sociales au fil des ans, le tatreez est apparu comme un symbole de résilience et de résistance. Là où les femmes brodaient autrefois des fleurs, aujourd'hui elles pourraient coudre une pastèque (un des symboles modernes de la résistance palestinienne), un drapeau ou une histoire de guerre. À travers les périodes d'occupation et de déplacement, de nombreuses femmes palestiniennes ont préservé leur identité culturelle en continuant méticuleusement l'art du tatreez, dans le but de transmettre leurs compétences aux générations futures. Cet artisanat est devenu un puissant moyen de préserver et d'affirmer l'héritage palestinien face aux pressions extérieures.


L'intérêt pour cet artisanat a connu une forte hausse, car il est perçu comme un moyen de renouer avec la culture palestinienne : le tatreez "est une langue non écrite, des histoires transmises de femme à femme, en silence", explique Feryal Abbasi-Ghnaim, qui vit aujourd'hui aux États-Unis. Elle faisait partie des centaines de milliers de personnes contraintes de quitter leur maison en Palestine en 1948. Sa mère et sa grand-mère lui ont enseigné cet artisanat en exil, comme elle l'a enseigné à ses filles. Les femmes palestiniennes ont appris à raconter leurs histoires à travers la broderie. "Nous voulons garder les histoires vivantes... les relier à leur tradition, à leur culture", déclare sa fille, Wafa Ghnaim, devenue une voix prééminente dans la recherche et la préservation du tatreez et du patrimoine palestinien, mettant en place le Tatreez Institute et "Tatreez and Tea", offrant aux Palestiniens de la diaspora l’opportunité d'apprendre et de se reconnecter avec leur patrimoine culturel.


Aujourd'hui, le tatreez est justement honoré et apprécié. Contrairement à de nombreuses traditions artisanales, cette art ancien est à nouveau contemporain; que ce soit dans la diaspora ou dans les Territoires palestiniens, le fait de le pratiquer continue d'être un symbole de la résistance du peuple palestinien, une manière d'honorer leur patrimoine culturel et un engagement envers leur avenir et leur identité.

Image Jerusalem, credit Annie Waterman

Merci à Annie O. Waterman pour vos images, et pour l'accueil chaleureux de la PNUD Palestinien.

https://www.undp.org/fr


Sources 

  • Conversation with Yasser Barakat https://www.yasserbarakatgallery.com/

 

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