CRAFTSTORY #9: COULEURS NATURELLES BANGLADESH
Au cœur de la bruyante Dhaka, derrière un immeuble de bureaux, se trouve un petit atelier, un laboratoire d'artisans de la couleur. Ici, nous rencontrons une équipe de fabricants de pigments et de teinturiers, élaborant des recettes pour colorants. On nous montre comment mélanger l'indigo pour obtenir du bleu, les soucis pour le jaune, la garance pour le rouge et le catechu pour les tons bruns. L'espace ouvert est ombragé par de grandes pièces de tissu qui sèchent au soleil.
Le bâtiment abrite un centre d'artisanat bangladais ayant « une philosophie de l'esthétique naturelle et d’une existence plus responsable ». L'entreprise a rassemblé un groupe de designers et d'artisans avec pour objectif de revitaliser les techniques ancestrales de teinture naturelle du pays.
L'organisation a été créée dans les années 90 pour encourager et protéger le patrimoine artisanal du pays, par une chercheuse, activiste sociale et experte en artisanat, Ruby Ghuznavi. Depuis lors, c’est devenu un « écosystème florissant de plus de 3 000 artisans à travers le Bangladesh ». Ils ont été l'un des premiers membres du Bangladesh au Conseil mondial de l'artisanat et sont membres de l’OMCE (WFTO).
Le bâtiment est une ruche d'activité. Nous passons du centre de teinture, où le bourdonnement et les klaxons continus des rues de la ville se poursuivent au-delà des murs de l’enclos, à une série de salles où les artisans expérimentent la gravure sur blocs de bois. À l'intérieur se trouve une bibliothèque remplie de tampons datant du début de l'organisation.
Un artisan est assis sur le sol, découpant avec soin un motif dans une pièce de bois. Il a appris cet art de son père qui a travaillé ici avant lui. À l'étage, il y a des salles où la broderie Nakshi kantha des régions rurales est amenée et contrôlée pour la qualité, et où de nouveaux motifs et designs sont élaborés. Les fils pour la broderie fine sont teints avec des colorants végétaux dans la cour en bas, et des paquets de cette laine teinte naturellement sont préparés pour être envoyés aux artisans dans des communautés rurales à travers le pays.
Chaque couleur se décline en une multitude de tons, et son histoire est unique. Dans la mesure du possible, les colorants sont fabriqués à partir de déchets ou de sous-produits d'autres industries locales. Les marigolds utilisés sont récupérés pendant la saison des mariages, les pétales sont rassemblés une fois la fête terminée pour obtenir des jaunes riches. Les déchets de thé sont balayés du sol d’une usine de production pour obtenir différentes nuances de beige et de brun. Les copeaux de bois sont collectés auprès des scieries locales. Les peaux de grenade récupérées sont utilisées pour produire de nombreuses déclinaisons d'ocres, de terre cuite, de verts et même de gris foncé.
L'arbre de catechu donne quant à lui une large gamme de bruns terreux et chatoyants. Les peaux d'oignon sont récupérées dans les cuisines des restaurants alentours pour créer une gamme de couleurs allant du jaune au brun en passant par le vert. Chaque plante ou ingrédient donnera une couleur ou une nuance différente en fonction de la proportion utilisée, du fixateur employé; il est alors possible de mélanger différents pigments et d'élargir davantage la palette de couleurs.
La femme en charge de cette alchimie de couleurs est Sherene, et une fois la recette d'une couleur perfectionnée, elle la partage avec l'équipe de teinture. Grâce à ce savoir-faire, et l’équipe de designers de la maison, ils ont réussi à créer une superbe collection d'artisanat contemporain fabriqué de manière durable en utilisant uniquement des fibres et des teintures naturelles.
La mission de l'entreprise est de rendre cette production écologique "commercialisable", et d’offrir "de nouvelles opportunités pour les artisans, et plus spécifiquement les femmes économiquement défavorisées... établissant ainsi une chaîne de valeur pour une mode durable, où les personnes, l'environnement et le profit sont évalués de manière égale". C'est clairement intensif en main-d'œuvre, et relativement coûteux à produire, comme souvent avec l'artisanat, et il est si rafraîchissant de voir une entreprise dédiée à cette cause.
La protection du bien-être des artisans et la promotion de leur travail sur un marché international. ~ Nawshin Khair
Nous avons parlé à Nawshin Khair, la directrice créative et gestionnaire chez Aranya (vêtue d'une magnifique tenue en soie délicatement teintée de rouge garance), qui nous a expliqué que « la protection du bien-être des artisans et la promotion de leur travail sur un marché international » étaient essentiels à la philosophie de l'entreprise. La nature intensive en main-d'œuvre de cette activité permet d'augmenter l'emploi des groupes d’artisans ruraux, première étape pour améliorer leurs conditions de vie en générant de nouvelles sources de revenus.
La création d'un produit de qualité et prestigieux leur permettra ensuite d'accéder aux marchés et de s'assurer que le fruit de leur travail artisanal est correctement valorisé. Cependant, la gestion d'un réseau aussi important d'artisans ruraux est un défi majeur, et l'un des prochains grands projets de Nawshin sera de créer une école d'artisanat « pour former à, et structurer correctement ces métiers, afin de formaliser l'éducation pour l'artisanat. Sans une telle structure, il sera difficile de maintenir ces savoirs-faire. »
Il existe de nombreux obstacles au projet de relance de l'artisanat, « le plus évident étant l'industrialisation galopante; deuxièmement, peu de personnes veulent apprendre l'artisanat de nos jours, car il faut des années pour en acquérir la maîtrise. » Mais il existe également de nouvelles opportunités, « la durabilité est maintenant une grande préoccupation, elle est plus formalisée qu'elle ne l'était lorsque nous avons commencé... nous avons une empreinte carbone réduite, en utilisant des teintures naturelles, il n'y a pas de déchets chimiques déversés dans les rivières, tout le processus est aussi authentique que possible... et nous utilisons tellement peu d'eau. Protéger l'espace artisanal peut vraiment être bénéfique pour le monde. »
Nawshin fait preuve d’une passion et d’une connaissance de l'artisanat bangladais, et de l'industrie textile, tout à fait remarquables. Elle fait partie d'un petit groupe d'enthousiastes et de militants qui poussent pour une transformation de l'industrie, mais aussi pour un changement de perception, la prise de conscience que ces savoirs-faire traditionnels protègent non seulement le patrimoine artisanal immatériel, mais a également la capacité de faire un énorme bien, tant au niveau social pour les artisans qui peuvent gagner leur vie grâce à ce travail, qu'au niveau environnemental, car les produits faits à la main ont beaucoup moins d'impact sur notre écosystème. Si nous connaissons, et chérissons l'histoire derrière un objet, nous le traiterons avec encore plus de soin, et soutenir l'artisanat est un acte positif pour le consommateur conscient.